L’enrichissement sans
cause
Travail à faire :
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Lire absolument
l’article du Feue Professeur NGUEBOU Josette, ‘’Réflexions sur les applications
contemporaines du principe de la subsidiarité dans l’action en enrichissement
sans cause’’, in Annales de la Faculté
des Sciences Juridiques et Politiques de l’Université de Dschang, Tome I,
vol. 2, PUA, 1997.
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Disserter sur le
sujet suivant : La subsidiarité et l’absence de cause font-elles double
emploi dans l’action de
in rem verso ?
Quelques rappels :
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Enrichissement
sans cause : avantage obtenu par une personne (enrichi) en relation
directe avec l’appauvrissement d’une autre (appauvri), alors que le
déséquilibre des patrimoines n’est pas justifié par une raison juridique.
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Souvenons–nous que
cette institution n’est pas consacrée par le code civil applicable chez nous
(certains code civils, allemand et suisse notamment, l’ont réglementée.)
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Cependant, notre
code civil, qui ne consacre pas un principe général de l’enrichissement sans cause,
a tout de même prévu des hypothèses particulières d’enrichissement sans
cause ; c’est par exemple le cas du propriétaire qui s’est servi des
matériaux d’autrui pour édifier des constructions sur son terrain, ce
propriétaire qui s’est enrichi au détriment d’autrui est condamné par l’article
554 à payer la valeur des matériaux utilisés, et, le cas échéant à payer des
DI.
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C’est par une
jurisprudence devenue célèbre que l’enrichissement sans cause a été reconnue en
jurisprudence : Cour de Cassation française, Chambre des Requêtes, 15 juin
1892, Julien Patureau C/ Boudier,
DP 92. 1. 596, S. 93. 1. 281, note Labbé ; GAJC,
tome 2, 11ème édition, PP. 383 et suiv.)
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Si le droit ne se
confond pas avec l’équité, nous devons aussi nous souvenir que l’équité est souvent
vue comme une source non négligeable du droit, une source d’appoint. Ainsi, que
ce soit dans les hypothèses dégagées par le code civil, ou dans les décisions
jurisprudentielles, c’est un principe d’équité qui commande l’institution de
l’action de in rem verso. En effet, l’équité défend de
s’enrichir au détriment d’autrui, surtout si cet enrichissement n’a pas de
juste cause.
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La notion de
juste cause est très importante dans le régime de l’action de in rem verso. On considère généralement un enrichissement comme étant
sans cause lorsque la perte subie par l’appauvri ne procède ni de son intention
libérale en faveur de l’enrichi, ni de l’accomplissement des obligations dont
il est tenu envers lui, en vertu de la loi, du jugement ou du contrat, ni de la
poursuite d’un intérêt purement personnel.
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Cependant, un
enrichissement devient justifié s’il est occasionné par la faute de l’appauvri,
ainsi, Il a été jugé aussi que le garagiste qui a réalisé sur le véhicule de
son client des travaux qui ne lui avaient pas été commandés ne peut, en se
fondant sur l'enrichissement sans cause, réclamer à celui-ci aucune indemnité
(1ère CIV. - 24 mai 2005, BICC n°625 -
15 Septembre 2005).
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Lorsqu’une
personne prétend, qu’une autre s’est enrichie à son détriment, et ce, sans cause ;
elle peut alors jouir de l’action de in
rem verso. Cette action, qui est ouverte à l’appauvri, vise à condamner
l’enrichi à lui verser une indemnité égale à la moindre des deux sommes (ces
deux sommes représentant d’une part, l’appauvrissement et d’autre part
l’enrichissement) en cause. Mais, la recevabilité de cette action est soumise à
certaines conditions dont la plus importante est celle de la subsidiarité.
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On doit toutefois
remarquer que l’arrêt Boudier
semble n’avoir pas fait allusion à cette condition. Ici en effet, le juge s’est
juste arrêté sur les conditions matérielles. Il dit en effet : «attendu que cette action … n’ayant été
réglementée par aucun texte de nos lois, son exercice n’est soumis à
aucune condition déterminée ; qu’il suffit, pour la rendre recevable,
que le demandeur allègue et offre d’établir l’existence d’un avantage qu’il
aurait, par un sacrifice ou un fait personnel, procuré à celui contre lequel il
agit ».
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En ne mettant
aucun obstacle à l’exercice de cette action, cet arrêt à quelque peu ouvert la
voie à un certain désordre : il devenait un peu trop facile de se plaindre
d’un appauvrissement et d’en demander réparation à celui que le sort avait
favorisé. Bien plus, il devenait très facile de contourner certaines règles rigides
de la loi, de contredire même la loi (puisqu’ainsi, il demeurait toujours
loisible à l’appauvri qui ne peut plus agir à cause de la prescription
d’invoquer l’action de in rem verso pour
recouvrer ce que la loi a permis de lui prendre). Les obstacles participant de
la limitation du domaine de cette action ont alors été élaborés par la doctrine
postérieure à l’arrêt Boudier :
La notion de juste cause à été définie et le principe de la subsidiarité à été
dégagée et précisée.
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Cette notion de
subsidiarité a un contenu moderne qui se démarque de sa conception classique.
En effet, classiquement, la subsidiarité implique :
-
Que l’appauvri ne
peut pas jouir de l’action de in rem
verso s’il dispose d’une autre action contre l’enrichi pouvant le
satisfaire ;
-
Que l’action de in rem verso est exclue si l’appauvri
aurait pu disposer d’une action C/ l’enrichi mais que celle-ci est refusée par
la loi ;
-
Qu’en cas
d’enrichissement indirect (par le biais d’un tiers), l’appauvri n’a d’action C/
l’enrichi qu’à défaut d’avoir auparavant obtenu satisfaction du tiers.
On peut conclure, que dans sa conception classique, la
subsidiarité rime quasi systématiquement avec l’absence de cause.
Les applications contemporaines de ce critère
témoignent de son dynamisme.
Selon le Professeur Nguebou Toukam Josette, dans ses applications contemporaines, c’est
le caractère de complémentarité qui colle beaucoup plus à l’action de in rem verso.
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Ainsi, dans
certaines situations, bien qu’il existe une voie légale pouvant permettre à
l’appauvri d’agir contre l’enrichi, le premier peut toujours recourir à
l’action de in rem verso : c’est
généralement le cas, lorsque la réparation accordée par la voie légale serait supérieure
au montant de l’enrichissement
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Bien qu’il existe
souvent une cause d’appauvrissement, une autre interprétation de la
subsidiarité va plutôt conduire à déterminer le seuil raisonnable de cet
appauvrissement ou de l’enrichissement conséquent pour admettre l’action de in rem verso pour une quotité de
l’appauvrissement. Ainsi, dans un ménage, les époux sont tenus aux obligations
de secours et d’assistance mutuels et de contribution aux charges du ménage
(dans ce cadre, l’appauvrissement ou l’enrichissement d’un époux se fonderait
donc sur ces obligations), mais, il est toujours permis au terme du mariage, au
conjoint appauvri de recourir à l’action de
in rem verso pour se faire indemniser. On observe, à travers cet exemple,
un dédoublement entre la notion de subsidiarité et celle d’absence de
cause : il existe bien une cause, mais, l’action de in rem verso sera permise.
Dissertation :
La subsidiarité et l’absence de cause font – elles double emploi dans l’action de in rem verso ?
Quelques idées sur le sujet
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En principe, pour
que l’action de in rem verso soit
recevable, il faut qu’il n’y ait pas de juste cause à l’enrichissement et que
l’appauvri ne puisse pas jouir d’une autre voie de droit.
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Ainsi, on peut
rapidement conclure que ces deux conditions étant cumulatives, l’existence
d’une cause paralysant l’action de in rem verso.
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Bien plus, l’existence
d’une cause signifie en principe et en général
l’existence d’une voie de droit. En effet, si la cause est contrat, l’action en
responsabilité civile contractuelle sera ouverte ; si c’est un
quasi-contrat, la responsabilité civile quasi-contractuelle pourra être mise en
œuvre… ainsi, l’existence d’une cause entraînant en général, et par voie de
conséquence, l’ouverture d’une voie de droit spécifique, a pour effet de
paralyser l’action de in rem verso.
(on peut sur ces idées, et à ce niveau, conclure que subsidiarité et absence de
cause font double emploi car la première inclut quasi-systématiquement la
seconde)
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Mais, on doit
observer, que dans bien de cas, ce
n’est pas du côté de l’enrichissement que les juges recherchent l’existence ou
non de la cause. Ainsi, on peut peut-être dire que dans certains cas,
un enrichissement non causé peut avoir été provoqué par un appauvrissement
justifié soit par la faute de l’appauvri, soit par la recherche par ce dernier
d’un profit personnel. Ainsi, bien
que l’enrichissement n’ait pas une cause, l’action de in rem verso sera paralysée.
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Bien plus, malgré
l’existence d’une cause à l’enrichissement, l’action de in rem verso peut être recevable. Il en est souvent ainsi, lorsque le
contrat, cause de l’enrichissement est annulé ou résolu, une partie peut prétendre
que la chose qu’elle avait donnée a été utilisée, laquelle utilisation a
enrichi l’autre parti, la jurisprudence lui reconnaît alors (mais pas toujours)
le droit à une indemnité pour l’utilisation ou l’occupation de la chose (Com.,
16 décembre 1975, Bull., IV, N° 308, P. 256 ; Civ.,
1er juillet 1987 et 12 janvier 1988, RTD Civ.,
1988, 531, obs. Mestre).
On peut, compte tenu de tous les éléments rassemblés,
organiser ses idées autour de deux axes majeurs :
I – La commuabilité
existant entre la subsidiarité et l’absence de cause dans le régime de l’action
de in rem verso (les deux conditions faisant
sensiblement double emploi, surtout dans la conception classique de la
subsidiarité)
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Exclusion de
l’action de in rem verso en présence
d’une cause d’enrichissement, subsidiarité signifiant absence de cause
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Présence d’une
cause, existence d’une action spécifique …
Protection de l’ordre juridique (en effet, admettre
l’action de in rem verso, malgré l’existence d’une cause est vu comme nuisible
à la sécurité et à l’ordre juridique, ça faciliterait le contournement des
conditions légales). Mais, la jurisprudence à dynamisé la condition de
subsidiarité en la détachant souvent de celle d’absence de cause.
II – Le dédoublement
de ces deux conditions dans les applications contemporaines de l’action de in rem verso
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Possibilité
d’exercice de l’action de
in rem verso malgré
l’existence d’une cause de l’enrichissement (hypothèse sus invoquée des époux)
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Recherche de la
justification de l’enrichissement dans la faute de l’appauvri…
Fiche de l’arrêt : CS Arrêt N° 74 du 10 mai 1973.
Parties: Bouyom Bernard C/ Lélé Gustave
Faits :
ayant effectué des versements de fonds auprès de Monsieur Lélé
Gustave en vue de se constituer associé de ce dernier, Monsieur Bouyom Bernard souhaite la restitution desdits fonds par le
biais de l’action de in rem verso.
Procédure :
la Cour d’appel de Yaoundé a déclaré irrecevable l’action de in rem verso de monsieur Bouyom au
motif que ce dernier disposerait d’une autre action lui permettant d’obtenir
satisfaction ; M. Bouyom s’est pourvu en
cassation.
Moyen de cassation : M. Bouyom reproche a l’arrêt d’appel
d’être insuffisamment motivé et d’être fondé sur une fausse application de la
loi. En effet, selon le demandeur au pourvoi, la cour d’appel, pour rejeter sa
demande de restitution, devait plutôt se fonder sur l’article 464 CPCC
interdisant les demandes nouvelles en appel ; or, la cour s’est plutôt
fondée sur les conditions de recevabilité de l’action de in rem verso.
Problème juridique : l’action de
in rem verso est-elle
exclue lorsque le demandeur dispose d’une autre possibilité pour obtenir
satisfaction ? En d’autres termes, M. Bouyom était-il fondé à invoquer
l’action de in rem verso pour
récupérer les sommes qu’il avait auparavant versées à Lélé
Gustave en vertu d’un contrat de société ?
Solution du juge de cassation : en confirmant l’arrêt d’appel, le juge de
cassation rappelle au demandeur que son action était irrecevable en l’espèce,
et ce, en raison de l’existence d’une action née de la situation juridique
invoquée par le demandeur.
Proposition de plan :
I –
Exclusion de l’action de
in rem verso dans le cas
d’espèce
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Rappel des
conditions de recevabilité de l’action de in rem verso
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Obstacle dans le
cas d’espèce : existence d’une autre voie de droit
II – Décision précisant en filigrane le
caractère exceptionnel de l’action de in rem verso
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Les implications
du caractère subsidiaire de l’action de in rem verso
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La non
assimilation d’une décision d’irrecevabilité à un déni de justice