LA GARDE DE LA CHOSE

Notes et rappels

Article 1384 cc. :

Al. 1 : « On est responsable non seulement du dommage que l’on cause par son propre fait, mais encore de celui qui est causé par le fait des personnes dont on doit répondre, ou des choses que l’on a sous sa garde»

Al. 2 : « Toutefois, celui qui détient, à un titre quelconque, tout ou partie de l’immeuble ou des biens mobiliers dans lesquels un incendie a pris naissance ne sera responsable vis-à-vis des tiers, des dommages causés par cet incendie que s’il est prouvé qu’il doit être attribué à sa faute ou à la faute des personnes dont il est responsable. »

·          Le principe qui a été dégagé de l’art. 1384 al. 1 in fine est qu’on est responsable du dommage causé par les choses (animées ou inanimées ; mobile ou inerte) dont on a la garde. Ainsi, le critère phare de cette responsabilité c’est la garde.

·          Le mot garde peut s’appliquer tant aux personnes (en Droit de la famille, la garde signifie la prérogative reconnue au titulaire de l’autorité parentale de contraindre ses enfants mineurs à vivre sous son toit et de surveiller leurs activités) qu’aux choses.

·          S’appliquant aux choses, le mot ‘’Garde’’ a plusieurs significations.

-            Il peut s’agir d’une part de l’obligation imposée à une personne de garder et de surveiller une chose (le dépositaire, le débiteur saisi…). Dans ce cas, la responsabilité est généralement invoquée lorsque la chose est perdue ou à péri. (sens impertinent dans le cadre de notre thème).

-            Il peut s’agir d’autre part, du pouvoir de contrôle et de direction qu’a une personne sur une chose qu’elle utilise. Ici, le gardien (celui qui exerce ces pouvoirs de contrôle et de direction) voit sa responsabilité engagée généralement lorsque la chose a été à l’origine d’un dommage. (sens pertinent dans le cadre de notre thème).

La responsabilité du fait des animaux (art. 1385) et du fait des immeubles (art. 1386) étant déjà réglementée, ces choses ne sont plus en principe régis par l’article 1384 al. 1. Mais, l’art. 1384 al.1 peut être invoqué contre le gardien non propriétaire de l’immeuble (Civ. 2ème, 23 mars 2000, Mme. Pierrefitte C/ M. Auzelle, Bull Civ. II. N° 54, P. 37)

·          La garde, au sens de l’article 1384 al. 1 in fine est dotée de certains caractères :

-            L’autonomie: le gardien n’est pas forcément le propriétaire, ni le possesseur, ni le détenteur.

-            L’indépendance : la garde étant un pouvoir exercé par le gardien, l’idée d’une quelconque préposition lui est incompatible. Ainsi et en principe, un préposé ne peut être vu comme gardien, car il n’exécute que les ordres du commettant. Il n’en est autrement que si le préposé s’est mis hors du lien de préposition.

-            L’unicité : le principe est que, une chose ne peut avoir plusieurs gardiens au même moment. Traditionnellement, on conçoit mal l’idée de garde cumulative.

·          La garde est-elle un pouvoir de droit ou de fait ? en d’autres termes, en cas de vol par exemple, qui est responsable du fait de la chose volée ? le propriétaire (si la garde est un pouvoir de droit) ou le voleur (si l’on admet que le gardien est celui qui exerce matériellement le pouvoir de direction… sur la chose) ?

Pour répondre à cette question, la jurisprudence et la doctrine ont élaboré deux théories :

-            La théorie de la garde juridique : ici, on ne conçoit la garde que comme un pouvoir de droit qui s’exerce sur la chose. Le gardien de la chose volée demeure le propriétaire. L’idée ici est fondée sur le risque, en effet le propriétaire ayant le profit de la chose doit en supporter les dommages qui en résultent. C’est cette solution qui a été appliquée dans l’affaire Mbango. Cette façon de voir a quelques avantages en ce qu’elle protège les intérêts de la victime. En effet, le propriétaire est généralement connu ou repérable et même solvable (ou du moins pour le cas des automobiles, assuré) alors que le voleur ou l’usurpateur est souvent en fuite ou insolvable.

-            La théorie de la garde matérielle : ici, on conçoit la garde comme étant un pouvoir autonome distinct de la propriété ou de la détention… le gardien serait celui qui réellement exerce sur la chose les pouvoir de direction, de contrôle et d’usage de la chose. Peut importe que celui-ci exerce ce pouvoir de droit ou de fait. Ainsi, le voleur (cas dans l’arrêt Franck) ou l’usurpateur (cas du préposé qui utilise le véhicule qui ne rentre pas dans ses fonctions, Cf. Arrêt Epoux Biehler C/ Huret ; personne qui manie un fusil sans l’autorisation du propriétaire, Civ. 2ème 21 nov 1990, Bull. Civ. II. N° 203) peut avoir la qualité de gardien.

Si en principe, le propriétaire est présumé être le gardien de la chose, il peut détruire cette présomption en prouvant qu’il avait perdu le contrôle extérieur de la chose, encore faudrait-il que la perte de ce contrôle ne lui soit pas imputable (Cf. CS. Cameroun Oriental, Arrêt n° 119/ du 8 février 1972). Le propriétaire peut transférer la garde de la chose à une personne qui par l’effet du contrat acquiert la maîtrise de celle-ci : dans ce cas, le propriétaire ne cesse d’être responsable que s’il est prouvé que le cocontractant a reçu corrélativement la possibilité de prévenir lui-même le préjudice, ainsi, le propriétaire souhaitant transférer la garde doit informer le bénéficiaire du transfert (Civ., 1ère , 9 juin 1993, D. 1994, 80, note Dagorne-Labbé).

Lorsque la chose à l’origine du dommage est un véhicule terrestre à moteur (régi par le code CIMA), c’est sensiblement la théorie de la garde juridique qui s’applique. En effet selon l’article 200 alinéa 3 du code CIMA « Les contrats d'assurance couvrant la responsabilité mentionnée au premier alinéa du présent article doivent également couvrir la responsabilité civile de toute personne ayant la garde ou la conduite, même non autorisée, du véhicule, à l'exception des professionnels de la réparation, de la vente et du contrôle de l'automobile, ainsi que la responsabilité civile des passagers  du véhicule objet de l'assurance »

·          Une autre distinction est importante quand on parle de garde au sens de l’article 1384 al.1 cc. en effet, si la chose gardée a été transférée ou vendue, le bénéficiaire du transfert ou l’acquéreur devient-il entièrement responsable de tout dommage causé par la chose ?

Pour répondre à cette question, il a généralement été admis que le gardien initial n’est pas toujours hors de cause, et la solution dépend de la nature du dommage, ainsi les deux sont vus comme gardiens, mais de façon alternative, ainsi :

-            Celui des deux qui a la maîtrise technique de la chose doit répondre des dommages dus à une faute technique de la chose, il exerce donc la garde de structure

-            Celui qui utilise la chose est responsable des dommages dus à une mauvaise utilisation de la chose, il exerce la garde de comportement.

Cette distinction après avoir été rejetée (Civ. 2ème sect. Civ. 11 juin 1953, Bouchaïd ben Ahmed ben Saïd et autres C/ Schneider  où il a été jugé que la personne qui a reçu la chose à titre de locataire, et qui en est ensuite devenue propriétaire, en assume désormais vis-à-vis des tiers tous les risques dommageables, même ceux provenant d’un vice de la chose, sauf son recours contre celui dont elle le tient.), a été accueillie par la jurisprudence dans l’affaire Oxygène liquide, Civ. 19 juin 1960 (la cour de cassation dit que « … les juges du fond devaient, à la lumière des faits de la cause et compte tenu de la nature particulière des récipients transportés et de leur conditionnement, rechercher si le détenteur auquel la garde aurait été transférée avait l’usage de l’objet qui a causé le préjudice ainsi que le pouvoir de surveiller et d’en contrôler tous les mouvements »).

·          L’important pour la victime du dommage étant d’obtenir réparation, il lui serait loisible de commencer par poursuivre tous les supposés gardiens en cause, quitte au gardien saisi de se défendre en prouvant les causes d’exonération.

·          Les causes d’exonération :

-            Le gardien d’un immeuble n’est responsable en cas de communication d’incendie (feu provoqué accidentellement) que si sa faute est prouvée (Art. 1384 al. 2cc).

-            Le fait de la victime, il doit être l’unique cause du dommage pour être pleinement exonératoire, au cas contraire, il y a exonération partielle.

-            Le fait d’un tiers, il doit avoir les qualités de la force majeure

-            La force majeure et Le rôle passif de la chose

Sujet de réflexion : La faute dans l’application de l’article 1384, alinéa 1 in fine

·           Ce texte dit qu’on est responsable du fait « des choses dont on a la garde ».

·           Au regard de tout ce qui précède, le gardien doit répondre du dommage causé par la chose objet de sa garde.

·           En principe, s’il perd la garde de la chose, il n’en est plus responsable. Mais, s’il a perdu la chose suite a une faute de sa part, il pourra être condamné à répondre des dommages causés par la chose.

·           Le gardien est en principe responsable toutes les fois que le dommage est causé par la chose objet de la garde. Il peut néanmoins s’exonérer en prouvant une des causes d’exonération parmi lesquelles ne figure pas l’absence de faute de sa part. ainsi, l’absence de faute du gardien n’est pas une cause d’exonération.

·           N’oublions pas que le gardien de l’immeuble, n’est responsable en cas de communication d’incendie que si sa faute est prouvée (art. 1384 al. 2).

Ainsi, la faute joue un certain nombre de rôle dans l’application de l’alinéa 1 in fine de l’article 1384.

I-          La faute du gardien et le transfert de la garde (le rôle de la faute dans la détermination du gardien)

·           Le propriétaire perd la garde en cas de vol ou d’usurpation s’il n’a pas commis de faute

·           Le propriétaire demeure gardien si le vol faisait suite à une faute de sa part

II-        La faute du gardien et l’obligation de réparation  (le rôle de la faute dans la mise en œuvre de la responsabilité du gardien)

·           Zone de Texte: TCHABO SONTANG Hervé Martial
ATER de Droit Privé, FSJP Uds.
Principe : Responsabilité de plein droit du gardien, la faute joue ici un rôle indifférent. (Voir, Ch. Réun. 13 févr. 1930, arrêt Jand’heur)

·           Exception : Responsabilité pour faute du gardien en cas de communication d’incendie.