Eléments de correction de l'épreuve de Droit des sûretés, session de juin 2025
Année académique 2024-2025 / Examen du second semestre
***********************
ÉPREUVE DE DROIT DES SÛRETÉS
Éléments de correction (détaillés)
CAS PRATIQUE
Mr KANA, installé à Dschang, travaille dans une entreprise d’assurance de la place. Grâce à la rémunération qu’il perçoit chaque fin de mois, il a pu acquérir un véhicule, des parts d’une SARL, et une parcelle de terrain relevant du domaine national qu’il exploite en y effectuant des activités agricoles. Pour arrondir ses fins de mois, il décide de se lancer dans la culture des vivres frais. Afin d’obtenir le financement nécessaire, il se rapproche de son banquier qui accepte de lui accorder un prêt à condition qu’il constitue une ou plusieurs sûretés pour en garantir le recouvrement.
1- Quels types de sûretés Mr KANA peut-il constituer, au regard de la consistance de son patrimoine ? Précisez pour chacune d’elles les conditions de validité et d’opposabilité.
Éléments de réponse : En droit de l’OHADA, il existe une grande variété de sûretés susceptibles d’être constituées pour garantir l’exécution d’une obligation. En général, les parties ont le choix du type de sûreté à mettre effectivement en place ; elles peuvent même, pour la même obligation, mettre en place différentes sûretés. Mais, le type de sûreté ne dépend pas toujours de la volonté des parties, il est essentiellement tributaire de la nature du bien qui en est l’objet ou du statut de la personne qui entend se porter garant. Il est en effet clair qu’on ne constitue pas n’importe quel type de sûreté réelle sur n’importe quel type de bien, de même, une personne physique ne peut s’engager au titre de n’importe quelle sûreté personnelle. Dès lors, l’identification et la qualification des sûretés susceptibles d’être constituées dans un cas précis doivent se faire avec beaucoup de vigilance afin de ne pas adopter une qualification incompatible et dont la conséquence sera de compromettre l’efficacité de la sûreté. Il faut en effet garder à l’esprit que la plupart des sûretés se constituent par un écrit, lequel doit généralement contenir, à peine de nullité, entre autres mentions, celle relative à la dénomination (qualification) de la sûreté en question. En général, lorsque cette mention est manquante ou erronée, la CCJA conclut que la sûreté n’est pas constituée (au sujet de la garantie autonome : CCJA, Arrêt N° 159/2020 du 30 avril 2020, SONIBANK SA contre Bolloré Africa Logistics Niger SA. Et Entreprise Wazir SA ; CCJA, 3e Ch , no 211/2021 du 25 Novembre 2021). Il faut donc être très précis dans l’opération de qualification ou d’identification des sûretés susceptibles d’être constituées afin de conseiller efficacement son client.
La première des choses à savoir est que si la sûreté consiste en l’engagement d’un tiers, c’est du côté des sûretés personnelles qu’il faut chercher. Si, en revanche, elle doit porter sur un bien ou sur un droit réel principal, c’est du côté des sûretés réelles qu’il faut regarder.
Les faits de l’espèce indiquent que les hypothèses de sûreté envisagées concernent des biens : un véhicule, des parts d’une SARL, et une parcelle de terrain du domaine national. Il doit donc s’agir exclusivement de sûretés réelles. Il s’agit bien évidemment d’une catégorie qui renferme en son sein une multitude de sous classifications fondées notamment sur la nature du bien ou des modalités telles que la dépossession.
Suivant la nature du bien, on distingue globalement les sûretés mobilières et l’hypothèque. Au titre de sûreté immobilière, l’AUS n’a consacré que l’hypothèque (Art. 190 AUS) en précisant qu’il ne peut être constitué que sur des terrains immatriculés peuvent en être l’objet (art. 192 AUS, al.1). en l’espèce, bien que les faits mentionnent un immeuble, il ne faut cependant pas perdre de vue la précision selon laquelle il relève du domaine national, et donc qu’il n’est pas immatriculé. Par conséquent, il ne peut être utilisé pour constituer une hypothèque.
En ce qui concerne les biens meubles, à l’instar du véhicule et des parts des SARL cités dans les faits, il faut notamment tenir compte, pour l’identification de la sûreté appropriée, de leur nature corporelle (véhicule automobile) ou incorporelle (parts sociales). Dans ce dernier cas, et en vertu de l’article 125 AUS qui soumet les meubles incorporels au régime du nantissement, nous dirons que la sûreté à mettre en œuvre au sujet des parts de la SARL est le nantissement des droits d'associés et valeurs mobilières (art. 140 AUS). Le véhicule automobile étant un bien meuble corporel, et conformément à l’article 92 AUS, c’est un gage qui sera mis en place en ce qui le concerne, précisément le gage des véhicules automobiles (art. 119, AUS).
Mr KANA fait part de son projet à son meilleur ami M. NONO qui est le directeur général de la compagnie d’assurance dans laquelle il travaille. Ce dernier décide de s’engager auprès de la banque à payer la somme due en cas de défaillance de Monsieur KANA. Accueillant favorablement l’engagement de Monsieur Nono, la banque exige cependant de lui qu’il renonce à se prévaloir des moyens ou exceptions tirés du rapport de base.
2- À quelle sûreté les parties font-elles allusion ? Pourquoi ?
Éléments de réponse : Comme cela a été rappelé dans le cadre de l’analyse de la question n° 1 ci-dessus, lorsque la sûreté consiste en l’engagement d’un tiers, la garantie prend la forme d’une sûreté personnelle et peut consister en l’un des deux types consacrés par l’AUS que sont le cautionnement (caractérisé par un rapport d’accessoire entre l’obligation de base et l’obligation de garantie et, en conséquence, l’opposabilité des exceptions) ou la garantie autonome (caractérisée, quant à elle, par l’autonomie du rapport de garantie par rapport au rapport de base, ce qui induit l’inopposabilité des exceptions, un formalisme pointu et une rigueur ayant justifié que le législateur exclue les personnes physiques d’un tel engagement).
En l’espèce, tout en acceptant le principe que Monsieur Kana s’engage pour couvrir la défaillance éventuelle de Monsieur Kana, le banquier souhaite cependant que Monsieur Kana renonce à l’opposabilité des exceptions. Deux questions se posent alors.
La première est de savoir quel type de sûreté est ainsi visé par le banquier. Il convient pour y répondre de relever que les différents éléments permettent d’observer que les qualifications de cautionnement et de garantie autonome sont a priori envisageables. Mais, comme les faits le précisent, il se trouve surtout que Monsieur Kana à l’intention de s’engages à payer la dette de Monsieur Kana au cas où celui-ci serait défaillant ; par ailleurs, les faits précisent aussi que le banquier accueille favorablement cette idée, bref, qu’il est prêt à l’accepter. Cette considération majeure nous parait déterminante pour conclure que c’est à un cautionnement que les parties font allusion. Le cautionnement engage en effet la caution « à exécuter une obligation présente ou future contractée par le débiteur, si celui-ci n'y satisfait pas lui-même » (art. 13 AUS). C’est le lieu de sa rappeler que dans la garantie autonome, l’engagement du garant n’a pas un caractère supplétif ou subsidiaire, il ne s’engage pas à payer la dette de quelqu’un en cas de défaillance de celui-ci.
3- Peut-elle être mise en œuvre selon les modalités proposées par la banque ? Pourquoi ?
Éléments de réponse : La question est de savoir si cette sûreté (cautionnement) peut être mise en place selon les modalités indiquées par le banquier. Autrement dit, la caution peut-elle, au moment de son engagement, valablement renoncer à l’opposabilité des exceptions ? Étant par essence un engagement à payer la dette d’autrui, le cautionnement serait dénaturé si la caution s’engageait à garantir l’exécution d’une obligation éteinte ou inexistante. L’opposabilité des exceptions, corolaire du caractère accessoire, est donc, nous semble-t-il de l’essence même du cautionnement. Le contenu des alinéas 1 et 2 de l’article 29 AUS est clair : « 1. Toute caution ou tout certificateur de caution peut opposer au créancier toutes les exceptions inhérentes à la dette qui appartiennent au débiteur principal et tendent à réduire, éteindre ou différer la dette sous réserve des dispositions des articles 17 et 23, alinéas 3 et 4 du présent Acte uniforme et des dispositions particulières de l’Acte uniforme portant organisation des procédures collectives d’apurement du passif. 2. La caution simple ou solidaire est déchargée quand la subrogation aux droits et garanties du créancier ne peut plus s'opérer, en sa faveur, par le fait du créancier. Toute clause contraire est réputée non écrite ». Au regard de ces dispositions, il nous paraît évident de conclure que le cautionnement envisagé ne peut mis en place dans les modalités indiquées par le banquier.
En fin de compte, la banque décide d’accorder le crédit à Mr KANA à condition qu’il offre une sûreté sur sa résidence principale. La banque veut inclure une clause qui lui permettrait de devenir propriétaire dudit immeuble à l’échéance, en cas de non-paiement.
4- Une telle clause serait-elle valable ? Justifiez votre réponse.
Éléments de réponse : L’une des innovations introduites dans la réforme du droit des sûretés OHADA en 2010 est la possibilité de contourner la saisie immobilière dans la phase de réalisation de l’hypothèque. Le législateur a en effet consacré des modes alternatifs de réalisation de l’hypothèque. Toutefois, ces modes sont conçus comme des exceptions, ce que traduit bien les conditions de leur mise en œuvre. Les parties qui entendent alors y recourir doivent veiller à ce que ces conditions soient bien respectées. Ces modes sont au nombre de deux : l’attribution judiciaire et l’attribution conventionnelle.
En l’espèce, ayant finalement pris la décision d’accorder du crédit à M. Kana, le banquier souhaite plutôt qu’une hypothèque lui soit consentie sur la résidence principale de l’emprunteur. Deux questions se posent par la suite.
D’une part, se pose la question de savoir une clause d’attribution peut être valablement stipulée dans la convention d’hypothèque. Il convient, pour bien répondre à cette question, de se référer à l’alinéa 1er de l’article 199 AUS qui dispose ce qui suit : « À condition que le constituant soit une personne morale ou une personne physique dûment immatriculée au Registre du Commerce et du Crédit Mobilier et que l'immeuble hypothéqué ne soit pas à usage d'habitation, il peut être convenu dans la convention d'hypothèque que le créancier deviendra propriétaire de l'immeuble hypothéqué ». Il en ressort que pour qu’une telle clause soit valable, le constituant doit être une personne morale ou une personne physique régulièrement immatriculée au RCCM, ce qui n’est vraisemblablement pas le cas de Monsieur Kana (employé dans une société d’assurance en l’état ; et même en qualité d’exploitant agricole, il ne sera pas d’office soumis à cette formalité). Par ailleurs, il faut que l’immeuble ne soit pas à usage d’habitation, or les faits indiquent qu’il s’agit bien de la résidence principale de M. Kana, donc, d’un lieu d’habitation. Toutes les conditions, par ailleurs cumulatives, font défaut. Une telle clause ne peut dès lors être valablement stipulée en l’espèce.
5- Par ailleurs, le créancier peut-il demander une attribution judiciaire de l’immeuble hypothéqué ? Justifiez votre réponse.
Éléments de réponse : Le banquier pourrait-il néanmoins se faire attribuer ledit immeuble en justice, en cas de défaillance du débiteur. L’article 198 AUS qui consacre ce mode de réalisation de l’hypothèque au profit du créancier précise en son second alinéa que « cette faculté ne lui est toutefois pas offerte si l'immeuble constitue la résidence principale du constituant ». Or, les faits indiquent que l’immeuble concerné est la résidence principale du constituant. Logiquement donc, il ne sera pas possible de demander, et d’obtenir, une attribution judiciaire dudit immeuble.
A découvrir aussi
- Epreuve de Droit des sûretés (OHADA), Université de Dschang, février 2015
- Capacité II - Épreuve de Droit Civil III (Régimes matrimoniaux et successions), février 2015, FSJP-Univ. Dschang
- Épreuve d'examen de Droit du commerce international - Session de juin 2019 _ Eléments de correction
Inscrivez-vous au blog
Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour
Rejoignez les 209 autres membres